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Brahmia Hadjer
Brahmia Hadjer
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28 mai 2008

Faut-il intervenir

                         Faut-il intervenir dans la langue des médias?41000

images          Intervenir en considération de la nature
              même de la langue et des médias

    MADELEINE SAUVÉ

       Grammairienne, Université de Montréal

Au moment où j'ai été invitée à prendre la parole pour répondre à la question « Faut-il intervenir dans la langue des médias? », je me suis dit : comme les grammairiens sont généralement ou spontanément assimilés aux puristes, je serai sans doute considérée comme le « oui de service » à la table ronde. Malicieusement, j'ai pensé : le moyen de produire un effet serait bien de soutenir qu'il ne faut pas intervenir...

Mais, comme vous le devinez, ma condition et plus encore mes convictions personnelles ont eu raison de cette velléité : je ne ferai pas d'effet, et je répondrai simplement : oui, il faut intervenir dans la langue des médias. Il me reste à fonder cette assertion.

J'estime qu'il faut intervenir pour des motifs qui prennent leurs racines au coeur même des règles de la vie, des exigences de la pensée et de la communication ainsi que de la mission pédagogique des médias. En bref, je dirais qu'il faut intervenir en considération de la nature même de la langue et des médias.

Avant d'expliciter ce propos, je désire préciser ce que j'entends ici par le terme intervenir. Il ne s'agit pas d'intervenir comme on le fait, par exemple, dans une situation politique ou diplomatique où il s'impose d'entrer d'urgence en lice pour tenter de dénouer un conflit, de détourner le cours d'événements tragiques. Il ne s'agit pas non plus d'intervenir comme il y a lieu de le faire, par exemple, en médecine lorsqu'on doit agir immédiatement, énergiquement, pour arrêter l'évolution d'un état pathologique. Il s'agit, dans le cas, d'intervenir au sens courant du terme, c'est-à-dire de « prendre part à une action, à une affaire en cours dans l'intention d'influer sur son déroulement ».

Dans cette perspective, il me paraît aller de soi que l'on intervienne dans la langue des médias; en effet, on reconnaît volontiers que toute action, que toute manifestation s'adressant à la conscience, à la pensée, comme c'est le cas de l'action des médias, est nécessairement soumise à une régulation.

Aussi, ne pas intervenir, ce seRait, je crois, une forme d'intervention . laisser aller, laisser couler la langue et l'expression au gré de chacun, au hasard des vents contraires, ce serait une connivence, ce serait une intervention implicite mais très réelle. À cette forme d'intervention implicite, insidieuse, il faut préférer d'emblée l'intervention explicite. Les médias, notamment la presse écrite ou audiovisuelle, sont un lieu où s'impose un usage réfléchi et contrôlé de la langue, comme c'est le cas - ou comme ce devrait l'être - dans le système d'enseignement, dans l'administration publique et dans les autres cas d'usage officiel de la langue.

Cela signifie qu'à des degrés divers et selon des modalités particulières, il faut assurer que la langue utilisée soit en rapport avec un appareil de référence, avec une norme à respecter et donc, par voie de conséquence, avec ce qu'on appelle ici une « intervention ». Ce motif renvoie à la substance même des médias en tant qu'ils sont une activité vitale soumise, implicitement ou non, à des règles.

À cet égard, il faut bien comprendre que les règles en question ont partie liée avec l'usage, et l'usage, de soi, c'est l'usage actuel. Plus encore, il n'est pas exclu de souhaiter que la langue parlée, dont Vaugelas disait : « elle est la première en ordre et en dignité... celle qui est escrite n'est que son image », il n'est pas exclu de souhaiter donc, que la langue parlée ait de plus en plus de poids dans la détermination des règles ou du bon usage.

Selon cette perspective, l'intervention linguistique - comme elle est pratiquée à la Société Radio-Canada - visera essentiellement un accroissement de la compétence des « communicateurs ». Elle sera d'abord pour eux un facteur de libération et non d'aliénation, elle sera un moyen de valorisation et non une source de culpabilisation. Par ailleurs, elle se traduira normalement en qualité de vie pour tous ceux auxquels s'adressent les médias, parce qu'ils y trouveront une inspiration, un guide, un stimulant pour améliorer leur propre performance linguistique, pour se libérer de la contrainte que constitue l'ignorance des mécanismes de fonctionnement de la langue. En règle générale, on convient que la qualité de la langue a un rapport direct avec la qualité de la communication, mais la conviction que la qualité de la langue contribue à la qualité de la vie devrait être plus répandue et mieux défendue.

Le second motif que j'invoquerais pour justifier une intervention linguistique dans les médias tient aux exigences mêmes de la pensée et de la communication dont la langue est l'outil privilégié d'expression.

Un constat s'impose à l'attention aujourd'hui : nous sommes submergés par l'image. Le slogan « une image vaut mille mots » a plus de poids que le précepte classique « ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement ». La rigueur de l'articulation du discours est en régression. Maints indices illustrent ce phénomène : la richesse de la simplicité d'expression est trop souvent considérée comme un métal vil; le souci de la cohérence cède souvent la place au réflexe « pourvu qu'on comprenne »; le respect des conventions morphologiques et syntaxiques suit trop souvent le cours des monnaies dévaluées.

Devant ces faits qui relèvent, j'en conviens, d'un phénomène plus général de civilisation, les médias, notamment la radio et la télévision, peuvent jouer un rôle de freins ou d'accélérateurs. Grâce à l'intervention linguistique, pour une part, ils peuvent faire contrepoids au mouvement de régression; mieux encore, et d'une façon positive, ils peuvent contribuer à inverser le mouvement.

Si l'intervention linguistique est justifiée au nom des exigences de la clarté, de la justesse, de la propriété de l'expression et de la rigueur du discours, elle l'est plus globalement encore au nom des exigences de la communication. En effet, s'il est nécessaire de promouvoir la richesse de la langue, de développer ses potentialités, s'il est indispensable de préserver son intégrité, cela doit, en définitive, s'opérer au nom de la perfection d'un outil de communication. Ce principe devrait sans doute présider non seulement à l'intervention linguistique dans les médias, mais à route oeuvre de codification ou de normalisation. À ce chapitre de la communication, l'intervention linguistique - étant bien entendu que celle-ci est d'abord ancrée dans l'usage actuel, dans l'humus de chez nous - devient un moyen non seulement d'assurer la compréhension interrégionale, mais aussi la communication internationale.

Un autre motif qui me paraît justifier l'intervention linguistique dans les médias, c'est le rôle pédagogique de ceux-ci, qu'ils portent ou non la marque officielle d'« éducatifs ».

Ce rôle pédagogique global n'est plus à démontrer. Les médias sont omniprésents et très puissants : ils concurrencent la famille et l'école en matière d'éducation. M'en tenant au domaine de la langue, je dirais que l'intervention dans les médias contribuera efficacement à assurer un équilibre entre l'initiative et la liberté de chaque locuteur et la nécessité de s'intégrer à une société et de communiquer avec les autres, ceux d'ici et ceux d'ailleurs.

On sait bien que si, par hypothèse, le comportement linguistique était livré totalement à l'individu, la communauté linguistique risquerait d'éclater, à plus ou moins brève échéance. À ce propos, je relève le fait suivant, à titre de simple exemple, de portée fort modeste : récemment, j'ai dû, en une seule journée, répondre aux trois questions suivantes : puis-je employer le mot « performativité » à la place de « rapidité »? l'action de contenir une foule, c'est bien la « contention » de la foule? j'ai un texte où il est question de « relationnement » avec le milieu : est ce un néologisme?

À dire vrai, ce ne sont pas d'abord les mots qui sont en question, mais le sens, le message; l'intervention linguistique dans les médias, qui - entre autres choses - élimine les phénomènes marginaux ou nuisibles à l'intelligibilité de la communication, devient indirectement une action pédagogique auprès des auditeurs.

D'une manière plus positive encore, l'intervention linguistique qui vise essentiellement à conserver un instrument de communication efficace, à l'enrichir des néologismes appropriés, à déployer les ressources de la langue française dans tous les domaines, y compris ceux de la science et des techniques avancées, cette intervention, faite auprès des divers communicateurs, rejoint l'ensemble de la population; elle accomplit ainsi une action éducatrice, bénéfique et valorisante pour tous. On peut dire qu'à long terme, elle est un apport à l'enrichissement du patrimoine dans ce qu'il a de plus fondamental : la langue, elle s'intègre à un phénomène beaucoup plus vaste, celui du modelage d'une société, lequel est un élément de la formation et de la continuité de toute culture.

Conclusion

Si le philosophe Alain a pu dire « qui saurait sa langue saurait tout de l'homme », nous sommes sans doute justifiés de croire que ceux qui contribuent à mieux faire savoir notre langue, à la révéler, à la manifester, participent à une haute mission que voile le quotidien, mais que laisse entrevoir la réflexion : je souhaite avoir contribué un peu à laisser entrevoir la portée de la mission d'intervention linguistique dans les médias et, partant, à la justifier, s'il en était besoin

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